La Bryone dioïque, la Coccinelle du melon et ...
l’apprenti entomologiste dans le Pas de Calais…Par Mariette Vanbrugghe et David Facon
D'après la lettre du GDEAM N° 22
Photo Mélanie Blineau
Il est une coccinelle,
Henosepilachna argus (Geoffroy 1762), plus communément nommée Coccinelle du melon, que l’on ne peut rencontrer dans le Pas de Calais que sur une seule espèce de plante spontanée, la Bryone, car son régime alimentaire est tellement restrictif qu’il se limite à une seule famille de plantes, celle des Cucurbitacées !
Pourquoi alors, l’appeler «Coccinelle du melon» ? Parce que les Cucurbitacées ne vous sont pas étrangères, cher entomologiste, et qu’elles vous régalent de leurs fruits : melon, concombre, courgette, potiron, cornichon. Eh oui ces derniers sont bien des fruits puisque ce sont des organes qui contiennent des graines !
La Bryone dioïque
Quelle est donc cette unique espèce de Cucurbitacée, spontanée dans notre région, susceptible de régaler notre Coccinelle du melon demanderez-vous ? C’est la Bryone dioïque. Vous aurez compris qu’il va nous falloir reconnaître et chercher la Bryone pour avoir une chance de rencontrer ailleurs que dans les potagers notre petite
Henosepilachna argus, ce joli coléoptère de 6 à 7 mm, rouge orangé, y compris au niveau des pattes, orné de 11 points noirs, actif dès le mois de mars.
Mais où chercher la Bryone dans le Pas de Calais ? Mieux vaudrait chercher une aiguille dans une botte de foin, rétorquerez-vous ! Sachez d’abord que ce n’est pas une rareté ! Elle est commune dans la région Nord-Pas de Calais, on la rencontre au niveau des lisières forestières, des jardins, des friches herbacées, des haies, dans les dunes même. En effet cette espèce a deux caractéristiques importantes : elles est héliophile, c’est à dire qu’elle aime la lumière et elle est nitrophile : elle apprécie les milieux riches en nitrates. La conjonction de ces deux préférences explique, par exemple, sa présence dans les haies souvent enrichies, dans les lisières forestières, les lieux fréquentés par l’homme, plutôt qu’à l’intérieur des boisements où la lumière n’est pas suffisante, en particulier.
Puis-je passer à côté d’une Bryone sans la voir vous demandez-vous ? Soyez rassuré, elle ne peut pas vous échapper. Apprenez que c’est une liane, c’est à dire une plante grimpante qui utilise un support pour s’élever au-dessus du sol, comme le fait le Lierre. Elle peut donc monter à l’assaut des arbustes d’une haie, par exemple, et atteindre 4 m de haut ! .
Un botaniste célèbre, l’Abbé Coste (1858-1924) qui a réalisé la Flore illustrée de France lui a tiré le portrait reproduit ci-dessous.
Ses grandes feuilles découpées, lobées, et ses vrilles en tire-bouchon qui s’entortillent autour du support font penser à celles de la vigne, une autre liane ! D’ailleurs, un petit détour par le dictionnaire Le Robert vous apprendrait que le nom de la Bryone a pour origine le grec bruônia, «vigne blanche». Pas étonnant, ajouterez-vous !
Mais au fait Bryone…. dioïque, vous avez dit …dioïque ? C’est clair comme du jus de …Bryone…. De la feuille de vigne au sexe, il n’y qu’un pas, il va falloir le franchir ! Bisexuées, dans leur majorité, plus de 90% des cas, les plantes à fleurs sont bisexuées : chaque pied possède à la fois des organes mâles, les étamines, et des organes femelles, les pistils. Le scientifique parle de monoécie, d’espèces monoïques.
Parmi les plantes à fleurs qui nous sont familières, certaines sont au contraire dioiques, comme la Bryone qui nous occupe, c’est à dire que chaque pied, chaque individu si vous préférez, est unisexué. Comme vous et moi. C’est le cas de l’Ortie dioïque, du Houx. Il y a donc des pieds femelles, ou des individus femelles, et des pieds mâles, ou des individus mâles, pour ces espèces. La dioécie est suffisamment rare pour que le nom de l’espèce en fasse parfois mention comme c’est le cas pour cette Bryone ou pour l’Ortie dioïque.
La floraison de la Bryone a lieu de juin à août. La corolle, constituée de 5 pétales, est vert jaunâtre. Les pieds mâles ont donc, dans leurs fleurs mâles, des étamines au nombre de 3 (en fait 5 dont 4 groupées 2 à 2) ; celles-ci sont terminées par des anthères jaune orangé. Les pieds femelles ont des fruits verts puis rouge vif à maturité, des baies, petites boules de 5 à 8 mm de diamètre qui se développent sous la corolle des fleurs femelles. Pour être tout à fait objectif, force est de reconnaître que les fleurs mâles sont 2 à 3 fois plus grandes que les fleurs femelles…En revanche, la pilosité, voire l’hirsutisme, (autre caractéristique de cette espèce), de la bryone femelle n’a rien à envier à celle de la bryone mâle !
Des pieds mâles, des pieds femelles…comment le pollen des fleurs mâles parvient-il sur le pistil des fleurs femelles ? Merci, les insectes ! La Bryone est une espèce mellifère, exploitable par les abeilles en particulier, qui en se déplaçant de fleurs en fleurs peuvent assurer sa pollinisation. Merci la Bryone !
Bryone dioïque donc, soit
Bryonia dioica Jacq. , 1774 pour ce qui est de son nom scientifique. Il faut comprendre par là que c’est le botaniste néerlandais –et baron– Nikolaus Joseph Freiherr von Jacquin *, excusez du peu, qui en 1774 a donné son nom à l’espèce !
Pour la Coccinelle du melon,
Henosepilachna argus (Geoffroy 1762), c’est le Français Etienne Louis Geoffroy*, pharmacien de son état, et entomologiste, par passion, qui l’a décrite le premier
Mais revenons à notre «jus de bryone». Ce serait une très mauvaise idée que de faire comme notre amie,
Henosepilachna argus, qui consomme la Bryone. Tout ce qui est bon pour elle ne l’est pas pour nous. Effectivement, pour l’Homme - et la femme, faut-il le préciser ? - , tout dans la Bryone est hautement toxique. Cette particularité lui vaut aussi le nom de «navet du diable» par référence à son appareil souterrain volumineux et à sa dangerosité. Notez toutefois que la Bryone, qui a déjà le grand mérite d’être mellifère et de nourrir notre petite coccinelle à 11 points, a par ailleurs des vertus médicinales qui en font un constituant de l’homéoplasmine, pommade utilisée pour apaiser les irritations de la peau et des muqueuses, suite aux piqûres d’insectes, en particulier.
La coccinelle de la BryoneQuant à notre Coccinelle de la Bryone, elle mérite doublement son surnom méridional de Coccinelle du melon. En effet, non contente de se sustenter là-bas sur une plante dont nous apprécions nous-mêmes les fruits lors des chaudes journées d’été, elle en arbore la coloration générale :
Epilachna argus est « orange melon » (bien mûr) de la tête aux pattes, avec juste 11 points noirs sur les élytres .
Avec ses 6 à 8 mm de longueur, elle est aussi grosse que la Coccinelle à 7 points
Coccinella septempunctata mais, à la différence de la plupart des autres « grandes » coccinelles, elle est couverte d’une pilosité rase et dense, visible à la loupe, qui lui donne un aspect mat inhabituel pour une coccinelle de cette taille .
Toxique pour l’homme, la Bryone ne semble pas poser de problèmes à notre coccinelle. Il est vrai que la racine et les baies sont les parties les plus vénéneuses, alors que la coccinelle consommerait plutôt le feuillage. D’après nos observations, les vrilles semblent aussi à son goût.
Dans la Manche,
Epilachna argus semblait avoir une distribution essentiellement littorale, mais les entomologistes belges l’ont découverte aussi à l’est du pays (Brabant wallon et province de Liège). Il n’est donc pas exclu qu’elle soit présente dans l’intérieur des terres chez nous, même si la plupart des mentions dont nous disposons concernent le littoral.
Un régime alimentaire très strict, une livrée invariable en couleurs comme en motifs, une taille plus importante que la moyenne des coccinelles de nos régions :
Epilachna argus cumule les avantages pour faciliter son identification par tout naturaliste débutant en coccinelles. Il faut la rechercher sur la Bryone ou à proximité, sur d’autres plantes (notamment l’ortie).
Pas de crainte à avoir pour vos récoltes de citrouilles ou de courgettes car elle ne semble pas goûter les plantes cultivées dans nos régions. Dans la Manche, elle a été vue une seule fois sur un pied de cornichons. Toutefois, il serait intéressant d’inspecter vos potagers pour la rechercher : toute observation d’
Epilachna argus sur d’autres Cucurbitacées serait un renseignement précieux.
Vous l’avez compris, nous comptons maintenant sur vous pour chercher la Bryone et sa coccinelle dans vos jardins ou lors de vos ballades dans la nature. Pour nous informer de vos découvertes, il suffit de nous donner la date et le lieu de l’observation (commune et, si possible, lieu-dit), la plante sur laquelle la coccinelle a été vue (sur ou à proximité de la bryone) et le nombre de spécimens. L’atlas concerne le Pas-de-Calais, mais les données du Nord sont aussi bienvenues. Et maintenant, à vous de jouer…